Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
LE VOLEUR DE PENSÉE.

Sur ses pas, les visiteurs parcoururent un couloir, sur lequel s’ouvraient des portes adornées d’étiquettes, portant les noms des pensionnaires, et aussi des inscriptions abrégées, hiéroglyphes de la médecine, indéchiffrables pour les profanes, mais qui, pour le personnel, indiquaient le diagnostic des docteurs, ainsi que le mode de traitement approprié.

Margarèthe respirait avec peine.

Une angoisse physique lui comprimait les côtes. Il lui semblait que le jeu normal de ses poumons était empêché par une force inconnue.

Margarèthe, mal élevée, poussée vers l’égoïsme par son milieu, ses relations, sa parenté, n’était point une méchante fille. Les êtres bien portants ne sont point cruels.

Mise en face des conséquences insoupçonnées des agissements de son père, elle se sentait une âme nouvelle, attristée, pitoyable.

Mais leur guide frappe deux petits coups secs à une porte.

Un murmure se fait entendre à l’intérieur de la cellule, dont elle sollicite l’accès.

Elle considère ce son indistinct comme une invitation d’entrer, tourne la poignée actionnant le pêne, pousse le battant, et d’une voix basse, protocolaire en quelque sorte, elle dit :

— Des visites pour miss Liesel.

Puis elle salue les Allemands d’un signe de tête, et s’éloigne gravement, retournant à son poste d’attente.

Margarèthe demeure immobile sur le seuil, tandis que son père, ignorant des subtilités sentimentales qui agitent l’âme de la jeune femme, s’avance lourdement dans la pièce, avec ce sans-gêne irritant du goujat important, qui se croit partout chez lui.

Liesel est là, assise dans un grand fauteuil, auprès de la fenêtre d’où l’on aperçoit Lambeth-Road. Son regard vague semble ouvert sur l’abime de la folie.

Mais Liesel n’est pas seule. Auprès d’elle, à côté d’une petite table chargée de papiers, se tient M. Tiral.

Le comptable a vieilli. La blancheur de ses cheveux, de sa barbe clairsemée, s’est accentuée. Les jours, depuis qu’il a retrouvé sa fille privée de raison, ont pesé sur lui aussi lourdement que les années.

Il tient un crayon bleu à la main. Une page, couverte de figures et d’équations, montre qu’il est interrompu au milieu d’un travail mathématique. Il s’est soulevé sur sa chaise, considérant les visiteurs qu’évidemment il ne connaît pas.