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LE VOLEUR DE PENSÉE.

déshonoré. S’il pouvait être condamné à quelque chose comme la déportation dans un bagne quelconque, il prendrait sûrement en haine ceux qui l’auraient condamné. D’autre part, ce vieil Anglais Fairtime ne s’obstinerait pas à marier sa petite sotte insignifiante fille avec un forçat. Conclusion : le Français serait libéré de sa patrie et de sa fiancée. Or, le plus fort est fait. Après six semaines de détention, d’interrogatoires, de confrontations, le jeune homme va être renvoyé, sous trois jours, devant la cour criminelle.

Cela était sûr. Avec le faisceau de preuves que j’avais créées, l’inculpé a eu beau protester de son innocence, déclarer qu’il était la victime d’une machination, il n’a obtenu du juge chargé de l’instruction que cette réponse :

— Vous ne pouvez désigner un ennemi capable d’organiser pareille aventure. Je vous conseille, dans votre propre intérêt, de ne pas persister dans votre système de dénégations et de suppositions romanesques. Réfléchissez, vous êtes très intelligent. Le personnage qui aurait mis en œuvre une pareille série de faits, aboutissant à vous inculper, serait génial.

Von Karch se frotta joyeusement les mains.

— Digne juge. J’ai été très sensible à son appréciation. Je lui ferai obtenir de l’avancement.

Mais changeant de ton.

— Ce dont je suis le plus fier, ma chère, c’est d’avoir bouleversé les sentiments du comptable Tiral. Cet imbécile ne s’était-il pas pris d’une affection paternelle pour ce François. Son témoignage eût été très favorable à l’accusé. Vivant sous le même toit, employé à la même usine, son affirmation aurait peut-être donné corps à l’idée d’une vengeance ténébreuse. Le doute, en tous cas, aurait profité à l’accusé. Eh ! Eh ! J’étais là, heureusement, et j’avais Liesel sous la main.

Il rit lourdement, content de lui-même.

— Grâce aux indiscrétions des journaux, indiscrétions qui leur furent communiquées par mes soins, Tiral apprit que la jeune… disons victime de l’ingénieur, portait au cou-de-pied un tatouage bizarre. Des journaux de Paris ont publié des clichés dudit dessin. Stupeur de Tiral. Il a reconnu les signes tracés par lui autrefois.

Tu vois l’effet. Il accourt à Londres. Il se rend à l’hôpital de Bethléem où la pauvre insensée est en observation ! C’est elle, c’est sa fille. Il s’épouvante de la voir inconsciente, incapable de le reconnaître. Est-ce donc ainsi qu’il devait la retrouver ? Et alors, le père déraisonne. Il devient l’ennemi de François, il s’acharne à le charger de ses dépositions ; et comme l’ingénieur a demandé avec insistance que l’on entende le compagnon de sa vie de chaque