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LE VOLEUR DE PENSÉE.

L’ingénieur est seul avec sa pensée. Ah ! la pensée, quelle compagne abréviatrice du chemin. Demi somnolent, engourdi par un rêve éveillé, dans un état hybride tenant de la veille et du sommeil, François n’a plus conscience du temps.

Les minutes, les heures, les stations se succèdent, marquant la voie parcourue d’alternance, d’ombre et de lumière.

Les gares passent en traits de feu, leurs intervalles sont des tunnels d’obscurité, où les fanaux des signaux piquent des étoiles rouges, vertes, ou blanches.

Et puis une clarté indécise annonce l’approche du jour. On a dépassé Rennes. Dans une heure, on atteindra Saint-Malo.

Alors une métamorphose se produit chez le voyageur. Ses défaillances, nul ne les doit soupçonner. Celui qui veut commander aux hommes, aux événements, doit être sûr de lui, ou tout au moins le paraître.

Il procède à sa toilette. Ce jour appartient encore aux clients de Loisin et Cie qu’il s’est engagé à visiter au passage. Il faut qu’ils gardent bonne impression de lui.

— Saint-Malo ! Tout le monde descend.

Le train, au milieu du crissement des freins, du tintinnabulement métallique des plaques tournantes, stoppe sous le hall vitré de la gare terminus qui dessert Saint-Malo et Saint-Servan.

François descend. Il n’a avec lui qu’un léger nécessaire de voyage. Ses bagages ont été enregistrés directement pour Wimbleton, Fairtime-Castle.

Il suit le quai, atteint la sortie. Machinalement, le jeune homme regarde en arrière, et il tressaille.

La femme remarquée au départ de Montparnasse, cette femme en qui il a cru reconnaître un instant l’interprète Liesel Muller, est sur le quai, immobile.

Elle attend sans doute que le passage soit libre. Quoi de plus naturel ? Une femme seule évite volontiers les bousculades.

Et puis, qu’est-ce que cela peut faire à François ?

La foule est un peu moins compacte, François peut sortir. Il en profite, joyeux d’échapper à l’obsession de cette silhouette.

Il se jette dans une voiture stationnant dans la cour de la gare.

— Hôtel Chateaubriand, ordonne-t-il. Ma valise déposée, nous aurons à nous promener.

— Tant mieux, riposte l’automédon, la promenade, ça fait bouillir la marmite.