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L’AÉROPLANE-FANTÔME

que j’en prisse une parcelle. Je me révoltai, vous le pensez ; la fortune pour ma fillette, c’était trop tentant.

— Et cependant, le chef a réussi à vous éloigner ?

— Oh ! bien simplement. Il déclara à sa tribu que les dieux lui étaient apparus en rêve, lui ordonnant de provoquer une battue dans le bois interdit, où se cachaient des étrangers ; et les guerriers en route, il vint me rejoindre.

« Je ne veux pas, me dit-il, que tu dérobes les Pierres de Soleil ; mais tu m’as conservé la vie et je ne permettrai pas que l’on attente à la tienne. Suis-moi, je te sauverai. Loin d’ici, tu oublieras ce trésor qui ne doit appartenir à personne ; tu te souviendrais seulement qu’Ahuno (c’était son nom) te fut un ami dévoué. » Et il assura ma fuite par la rivière souterraine, m’apprenant ainsi la route du retour et les signes qui la jalonnent. Maintenant, conclut cordialement M. Tiral, croyez-vous que vous auriez bonne grâce à refuser d’être mon associé ?

Peut-être la loyauté de la question troubla-t-elle l’âme gangrenée de l’espion, car il ne répondit pas et se borna à serrer la main de son interlocuteur.

Puis celui-ci, occupé à refermer les caissettes, à assujettir les couvercles, Von Karch rentra dans la première salle, Tril se glissa curieusement à sa suite.

La table était mise sur le cube de porphyre, qui supportait des assiettes grossières, des couverts de fer, sans doute achetés par l’ancien explorateur au cours de son voyage.

Des vases de terre, remplis d’une eau transparente, dressaient leurs poteries brunes au milieu des faïences plus claires.

Mais l’Allemand ne jeta à ces apprêts qu’un regard distrait.

Il considérait Liesel, debout à l’une des extrémités de la masse de pierre, si absorbée par ses pensées qu’elle n’avait pas entendu venir l’hôte de son père.

Dans les yeux de Von Karch, il y avait quelque chose de cauteleux et de phosphorescent. Il examinait la jeune fille comme le chat surveille la souris. Il s’approcha d’elle, lui prit la main.

Elle tressaillit à ce contact, leva les paupières, dardant sur le personnage le regard plein de défi de ses prunelles noires.

Il se pencha vers elle, et murmura paterne et inquiétant :

— Votre mère n’est pas vengée, Liesel.

La phrase atroce signifiant : « Jeune fille, tu n’as pas tué ton père ainsi que tu le voulais autrefois », provoqua un tremblement de la souple silhouette de Liesel. Elle eut un mouvement vague, lassé, hésitant.