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LE VOLEUR DE PENSÉE.

cernait un étrange « positif » représentant des figures géométriques entre-croisées, entre-mêlées de lettres et de chiffres mystérieux.

Elles la prirent, se penchèrent l’une vers l’autre pour regarder ensemble.

Mais ces lignes entre-croisées, ces lettres, ces chiffres, ne présentaient aucun sens à leur esprit.

Leurs yeux quittèrent le papier, se fixèrent sur l’Allemand avec une évidente curiosité.

Celui-ci fit entendre un petit rire étouffé. Peut-être y avait-il de l’ironie dans cette soudaine gaîté.

— Je n’en sais pas plus que vous. Mais si je t’ai convoquée ce soir, Liesel, c’est pour te dire que dans un mois, jour pour jour, ce père qui sait, lui, ce père qui a fait souffrir ta mère, qui t’a faite orpheline, sera en ton pouvoir… Dans un mois, tu entends ?

— Et alors, je lui arracherai son secret, entendez cela également.

Impossible d’exprimer l’énergique âpreté avec laquelle la jeune métisse prononça cette phrase. On y sentait la haine poussée à son paroxysme, la haine accrue par la férocité native des races primitives.

Le visage de Liesel s’était comme transfiguré.

Contractée, striée de rides légères, la physionomie de la bizarre jeune fille revêtait un caractère félin.

Tout ce qui, en elle, apparaissait à l’ordinaire seulement bizarre, devenait à cette heure menaçant et terrible. On la devinait sans pitié.

L’impression de férocité qui émanait d’elle était si forte que Marga se pressa contre son père. Elle frissonnait. Sa compagne lui faisait peur.

Mais Von Karch ne semblait point partager ce sentiment. Il se frottait doucement les mains, avec ce geste inconscient de l’homme satisfait de lui-même… et des autres. Évidemment, Liesel donnait ce qu’il attendait d’elle, car ce fut d’un ton affectueux qu’il reprit :

— Bien, petite, bien. Je suis heureux de voir que tu te souviens.

— De la morte. Oh ! je n’ai rien oublié, pas plus la vengeance qu’elle m’a léguée en mourant à vingt-huit ans ; à vingt-huit ans, répéta-t-elle avec un accent impossible à rendre…

— Il faut se souvenir, mais cacher que l’on se souvient.

L’agent allemand avait laissé tomber ces mots d’un ton paterne. Vraiment on l’eût pris pour un bon bourgeois donnant un conseil de comptabilité à une employée. Elle le toisa avec un sourire :

— Oui, la ruse, n’est-ce pas ?

— C’est cela, en effet.