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L’AÉROPLANE-FANTÔME

— Pourquoi devinera-t-il cela ? questionna Siemens, dont l’intelligence n’était pas aussi robuste que les muscles.

Pétunig, un loustic d’outre-Rhin, riposta :

— J’ai dit Si Miss Veuve n’est pas un imbécile ; donc je n’ai pas parlé pour toi. Alors tu ne peux pas deviner bien sûr.

— Ah ! si je ne peux pas, murmura le géant, incapable de comprendre l’impertinence de son compagnon !

— Donc, reprit celui-ci, Miss Veuve se lancera à notre poursuite. Elle va beaucoup plus vite que nous, elle nous rejoindra. Seulement elle cherchera un bateau pressé, forçant de vitesse. Quand on se sauve, mon gros Siemens, tu comprends bien que l’on court de toutes ses forces.

— Naturellement.

— Et elle n’aura pas un instant la pensée de suspecter un brave petit navire, tranquillement amarré au rivage ; qui ne bougera qu’à la nuit revenue. Hein, que penses-tu de ce raisonnement ?

L’athlète regarda son interlocuteur, se consulta un instant, puis prenant enfin son parti :

— Moi, je trouve qu’on va moins vite comme cela. Oh ! je me figure que c’est très bien, puisque Herr Von Karch l’a décidé ; mais je ne suis pas aussi intelligent que le maître.

— Pas aussi intelligent, s’exclama Pétunig ; tu es intelligent autrement, voilà tout.

Et riant aux éclats, l’ironique bandit s’éloigna, suivi par Siemens qui grommelait d’un ton de mauvaise humeur :

— De quoi rit-il à présent ? Ce damné Pétunig a l’air de parler allemand ; mais bien sûr ce qu’il dit n’en est pas, car je ne comprends jamais ce qu’il raconte.

Si comique que fût l’entretien des deux drôles, Tril, blotti dans le canot suspendu aux palans, n’eut pas la moindre envie de rire.

Il pressentait que François, s’il s’apercevait de l’évasion de l’espion, voudrait le joindre ; mais que, selon les prévisions du misérable, il ne prêterait aucune attention à un vapeur amarré à la berge.

Et lui, Tril, se trouvait dans l’antre du fauve. On séjournerait toute la journée auprès de l’écluse. En pleine clarté, impossible de songer à quitter son abri.

Or, l’exercice de la nuit, la pleine eau, les émotions de la montée à bord, sont des choses qui réagissent sur un estomac jeune. Le jeune Américain reconnaissait qu’il avait faim.