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L’AÉROPLANE-FANTÔME

légende entraînait, vers le royaume infernal, une jeune châtelaine imprudente.

Margarèthe se faisait cette réflexion lorsqu’elle déboucha sur le plateau herbeux qui forme le sommet du Babelsberg. En face d’elle, se dressait, tel un cierge géant, le fût de la Colonne Belvédère, et au pied du monument se profilait la lourde silhouette d’un wagon de grande dimension.

Deux coups de sifflet firent sursauter l’Allemande. Elle se rassura aussitôt en comprenant que son compagnon annonçait ainsi sa présence. En effet, un nouveau personnage parut, se dirigeant vers le groupe. Son guide prononça :

— Cette dame veut voir le patron. Elle dit avoir à lui signaler un danger.

— Qu’elle vienne donc.

Le gamin se tourna vers Margarèthe, qui avait assisté à ce rapide colloque :

— Suivez mon camarade. Je retourne à mon poste.

Léger comme un sylphe, il avait à peine achevé qu’il avait disparu d’un bond sous les arbres.

Deux minutes après, Margarèthe pénétrait dans l’étrange véhicule, en qui elle n’eut jamais soupçonné l’aéroplane à transformations dont son père l’avait si souvent entretenue. Mise en présence de François, elle s’acquitta de son message avec une telle bonne volonté que l’ingénieur fut persuadé. Cependant, il ne voulut pas se rendre de suite.

— Madame, dit-il, savez-vous pourquoi j’ai choisi le sommet du Babelsberg pour y établir mon campement ? Je vais vous l’apprendre. Tous les bruits de la campagne sont perceptibles en ce point. Or, l’un des sons les plus aisément reconnaissables est celui d’une troupe de cavaliers en marche. Je vous prierai donc de demeurer en ma compagnie, jusqu’à ce que l’approche des gendarmes annoncés me soit signalée ainsi.

Une joie chantait en elle. Elle réussirait. Elle assisterait au départ de l’homme qui menaçait la vie de son père. Elle aurait réparé ainsi ses paroles imprudentes. Et debout auprès du wagon, François et ses amis immobiles autour d’elle, Margarèthe tendait une oreille inquiète aux bruits qui montaient de la plaine environnante.

Le bruissement inexplicable de la nuit bourdonnait autour d’elle, fait des mouvements des choses, du vent se jouant dans les branches, des battements d’ailes des insectes nocturnes. L’appel bref du hibou en chasse, l’aboi lointain d’un chien de garde, jetaient, dans le concert imprécis des ténèbres, la note brutale de la grosse caisse ou des cymbales au milieu des suavités d’un orchestre. Tout à coup, elle tressaillit.