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MISS VEUVE.

qu’importe d’ailleurs ! Cela ne change rien à ma pensée de justice. Eh ! sans doute, je préférerais que les rôles fussent intervertis, mais cela dégage-t-il mon honneur ?

Toute la colère d’une âme loyale, contrainte à dissimuler, vibrait dans la voix du souverain. Il acheva d’un ton sec :

— Vous avez entendu, M. le Chancelier. Je veux avant deux semaines un projet de réforme complète du Service des Renseignements, de ses méthodes et de ses procédés. L’État doit être renseigné et ne doit pas accepter l’aide des voleurs. Allez, et mettez-vous au travail.

Le Chancelier salua très bas et sortit, bouleversé par le courroux du maître.

Celui-ci était seul maintenant, dans ce cabinet de travail sévère où s’élaborent les graves problèmes du gouvernement.

Il écouta les pas de son chancelier se perdre dans l’éloignement, puis il vint lentement à sa table-bureau, cette table Louis XV aux cuivres artistiques qu’il affectionne. Il se laissa tomber dans le fauteuil et s’enfonça dans une pénible songerie.

Pénible, oui ; son front pâle, ses yeux où s’allument des éclairs, le disent éloquemment. Soudain, il secoue la tête. Il vient de donner ses ordres. À l’avenir, il ne pourra plus être le prisonnier moral d’un misérable. La décision prise, exprimée, il lui semble que déjà sa liberté est un peu reconquise.

Une intolérable situation va prendre fin. Il ne faut pas céder à l’obsession qu’elle a imposée à son esprit.

— Travaillons, dit-il avec énergie.

Et volontaire, il attire à lui les papiers amoncelés sur le bureau, puis il annote les feuilles placées sous ses yeux.

C’est la nuit que l’Empereur travaille. Ses sujets, le personnel du palais, doivent ignorer l’effort d’où naissent les résolutions qu’au grand jour, le Maître proclame avec la fougue de l’impromptu.

Le crayon bleu trace des notes rapides, souligne, rature.

Il a, ce crayon, quelque chose de fatal, d’impressionnant. Quelques-unes des arabesques qu’il dessine sous l’impulsion de la main nerveuse qui le dirige, déchaîneraient des cataclysmes s’il plaisait au Maître de soixante millions d’hommes.

L’Empereur s’absorbe en cette besogne ardue de pasteur de peuples. Une teinte rosée colore son visage, décelant la tension de l’esprit. Tout à coup il lève la tête, regarde autour de lui d’un air étonné.