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L’AÉROPLANE-FANTÔME

— Nous avons marché constamment dans la direction Est quart Nord-Est. Nous avons parcouru 252 kilomètres depuis notre départ de Grossbeeren. D’après la carte, nous devons donc être aux environs de Posen, en pleine province polonaise.

Et il ajouta, avec une expression étrange :

— Les Polonais sont les souffre-douleur de la Prusse. Nous nous reposerons parmi eux. Pas de danger que ceux-là nous trahissent. Pour les fugitifs, pour les proscrits, les terres opprimées sont lieu d’asile.

Un instant après, l’aéroplane, ses turbines de propulsion horizontale embrayées, descendait vers la terre en vol plané. Mais, au lieu d’être astreint comme tous les appareils d’aviation alors en usage, à descendre presque en ligne droite, ce qui nécessite de vastes espaces découverts pour l’atterrissage, son plan incliné s’enroulait sur lui-même. L’engin décrivait une spirale de si faible rayon qu’il eût pu gagner la terre dans la cour d’un immeuble parisien.

— Oui, oui, Herr Doktor, on ne peut pas dire que les Polonais ont manqué de patience ; seulement la dernière iniquité a fait déborder la coupe d’amertume.

Dans le wagon-automobile, le pauvre paysan Vaniski parlait ainsi.

Séduits par la gentillesse des mignonnes Mika et Ilka, Tril, au nom des jeunes compagnons du doktor Listcheü, avait réclamé de lui que les malheureuses partageassent le repas du soir. Et Vaniski avait dû accepter.

Volaille, pâté en croûte dorée, ces victuailles inconnues des pauvres gens avaient été fêtées. Si bien que les deux blondinettes dormaient à présent, roulées dans une même couverture, et que Vaniski, rendu loquace par la chère inaccoutumée, racontait l’agonie morale de ses concitoyens.

— Songez donc, Herr Doktor, les Prussiens ont décidé que la langue allemande seule serait admise devant les tribunaux. Plaidoiries, témoignages doivent être produits en allemand. Or, nous, Polonais, fidèles à notre race, parlons mal ou pas du tout l’idiome de nos vainqueurs. Voilà ce qui a donné naissance au Comité de Justice. Qu’est-il ? Un tribunal secret. Quels hommes le composent ? On ne le sait. Mais une spoliation s’accomplit-elle au détriment d’un Polonais, ce Comité s’assemble dans une retraite ignorée. Il juge le spoliateur ; une seule condamnation : la mort. Des frères, réduits au désespoir comme moi-même, font le sacrifice de leur existence pour exécuter la sentence. Le Comité s’occupera de mes petites. Moi, je donnerai ma vie en échange.