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L’AÉROPLANE-FANTÔME

— C’est le malheur des temps, Vaniski. Les sages sont ceux qui se vengent. Pour les autres, n’est-ce pas le sort commun des Polonais d’être molestés par les Allemands ?

— Hélas !

— Je te répète que l’on fera passer un avis au professeur si cela est possible. Pour toi, songe seulement à ce qui t’intéresse. Sois prêt dans la nuit de demain. Un retard, et tu serais arrêté…

— Je serai prêt, Slovo, je te le promets.

Et se redressant, lâchant la barque, Vaniski murmura d’un ton sombre :

— Va. Que le Christ de Pologne soit avec toi.

— Et avec ton esprit, psalmodia Slovo en enfonçant les avirons dans l’eau.

Le bateau quitte le rivage. Dans la buée grise qui plane au-dessus du lac, il s’enfonce peu à peu ; ses contours deviennent imprécis. Il n’est plus qu’une ombre, puis plus rien. Le brouillard l’a absorbé.

Alors Vaniski, dont le regard n’a pas quitté l’homme s’éloignant, lève brusquement les bras vers le ciel qu’envahit le crépuscule. C’est un grand geste de désespoir que souligne l’exclamation farouche :

— J’étais un agneau de Pologne, ils m’obligent à devenir loup.

Et sa voix s’amollissant sous la poussée d’un sanglot intérieur.

— Yanika, murmure-t-il, chère femme, chère morte. Tes enfants ne sauraient être Allemandes !

Tout le cœur de la Pologne saigne dans cette invocation adressée à l’âme invisible qui, selon la croyance des Polonais, erre autour des aimés demeurés sur la terre. Puis, le dos courbé, avec l’allure lasse de la bête forcée qui emprunte au désespoir de la fuite impossible le courage de faire tête, il regagne la fourragère-maison où il espéra naguère échapper aux tracasseries prussiennes.

Tandis qu’il va, au milieu de ses cultures, les souvenirs cavalcadent en son esprit, y apportant une griserie cruelle.

Comme tant d’autres, là-bas, Vaniski fut un petit propriétaire. La vie était dure, le sol peu productif, les hivers rigoureux, mais le cultivateur possédait sa cabane ; on vivait. Et puis, tout à coup, vinrent les lois draconiennes sur la propriété polonaise élaborées par la Chambre prussienne.

Défense de la propriété bâtie à quiconque ne renoncera pas à la langue des ancêtres. Défense d’user du polonais en justice. Interdiction à toute autre société que les banques de Prusse de prêter de l’argent sur la terre cultivée. Ces banques, assurées du monopole, en abusèrent nécessairement. Le taux