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MISS VEUVE.

Encouragé par l’unanime approbation, le petit bonnetier reprit :

— De deux choses l’une : ou bien le seigneur Von Karch, puisque les journaux l’appellent ainsi, n’a pas volé le Français François de l’Étoile, ou bien il l’a volé. Dans tous les cas, pourquoi ne pas le mettre en présence de la fantastique Miss Veuve ?

— C’est ce qu’elle demande.

— Justement. Lui donner satisfaction serait mettre fin à des avanies qui font de la patrie allemande la risée du monde civilisé.

— Oui, seulement la vanité des grands les empêche de raisonner comme de simples braves gens, gronda une voix enrouée.

Les causeurs jetèrent un regard effrayé sur celui qui venait de prononcer ces paroles évidemment désobligeantes pour les gouvernants.

En Allemagne, on n’est jamais certain d’être hors de portée de certaines oreilles indiscrètes, lesquelles sont doublées de mains expertes à rédiger les rapports de police.

L’homme n’a rien d’inquiétant. Il est gros, barbu, doué d’une apparence mi bourgeoise, mi paysanne. C’est sûrement un agriculteur des environs, un de ces fermiers cossus se livrant à la fructueuse culture maraîchère, aux abords de la capitale berlinoise. Lui, du reste, continue :

— Bien sûr, fait-il. Si ce Von Karch a volé, c’est qu’il était à la solde du gouvernement. Voilà ce que ces messieurs ne veulent pas avouer. Ils profitent volontiers du travail du Service des Renseignements, mais s’il se produit une anicroche, il n’y a plus personne. On jette l’agent en cause aux orties, et l’on crie partout que l’on a fait justice.

Tout le monde pensait ces choses, mais l’admiration pour celui qui osait les exprimer, se manifesta par un Och ! d’approbation.

— Vous êtes tous de mon avis, je le sais bien ; pas seulement dans ce compartiment, mais dans tout le train, dans tous les trains, dans toute l’Allemagne. Cela n’empêche pas l’Empereur, le chancelier, leurs ministres, de prendre un air innocent quand on leur parle d’espionnage. Eh bien, moi, je les estimerais s’ils avaient le courage de défendre les gaillards qui donnent leur temps, leur peine au service de la plus grande Allemagne. Teufel ! l’espion fait plus pour la victoire qu’un soldat, et le bonhomme qui, en temps de paix, risque sa liberté et parfois sa vie pour s’emparer des secrets des peuples ennemis, devrait être honoré à l’égal des héros.

— C’est vrai ! c’est vrai, firent les autres en chœur.

— Aussi, voyez-vous, je serais le maître, moi, je convoquerais la Miss Veuve pour la confronter avec Von Karch, et je l’arrêterais ; je l’enfermerais