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MISS VEUVE.

Il y avait dans les brèves répliques de l’Allemand une ironie voilée qui exaspéra son interlocutrice.

— Sans défiance, continua-t-elle d’une voix plus âpre, j’ai accepté. La pensée de cette Miss Veuve qui vous traque m’épouvante. Fuir la terre allemande, être sur un point mobile de l’océan me causait une joie infinie. Je serais, durant quelques jours, délivrée de mes terreurs.

— Je l’avais pensé, et en bon père…

— En bon père. Osez-vous dire cela ? Nous entrons dans le port de Brighton ; alors je suis prisonnière dans ma cabine, avec défense de sortir appuyée par un matelot mis en faction à ma porte. On vient seulement de me rendre la liberté. Ah ! comme tout cela est d’un bon père. Si vous me le prouvez…

— Soyez donc satisfaite, ma chère ! Sir Péterpaul et toute sa famille, faits prisonniers par moi, cette nuit, sont à bord du Fraulein. Nous avons à présent des otages et nous ne craignons plus Miss Veuve !

Margarèthe appuya les deux mains sur son cœur, et s’adossa à la cloison, comme si elle allait tomber.

Et alors, en quelques phrases brèves, Von Karch triomphant lui conta l’expédition de la nuit, les motifs qui la lui avaient fait entreprendre, les précautions prises.

Tout à l’orgueil de ses combinaisons réalisées, il parlait avec emphase sans remarquer que, dans les yeux de son interlocutrice, se peignait une soudaine détresse.

— Je vous sais un tantinet sentimentale, Marga, conclut-il. Je n’ai point voulu vous mêler au coup de force nécessaire. À présent, nous pouvons retourner à Babelsberg sans crainte. Et j’ai compté sur vous, si jolie, si gracieuse pour me faire des amis de nos prisonniers.

— Sur moi ! redit-elle avec stupéfaction.

— Absolument.

La jeune femme haussa les épaules :

— Les prisonniers ne deviennent pas les amis de leurs geôliers. Ils nous auront en horreur.

L’espion ricana :

— Allons donc !

Et arrêtant la réplique sur les lèvres de son interlocutrice :

— Ma naïve Marga, le prisonnier déteste son geôlier, c’est entendu ; mais il ne hait pas la fille de ce sinistre gardien surtout si elle adoucit la captivité par de menus petits soins.