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MISS VEUVE.

Et de fait, on eût cru que la raison de miss Édith avait subi, sinon une éclipse totale, du moins une blessure. Comme le vase brisé du poète, il semblait que l’âme de la fille du lord fut déchirée par l’invisible fêlure qui lentement en fait le tour.

Oh ! elle ne se livrait à aucune excentricité. Presque toujours, on la voyait passer lente et grave, fantôme noir au visage blême, mais dans son attitude il y avait, si l’on peut s’exprimer ainsi, des contradictions, décelant un esprit troublé.

Brusquement, sans cause apparente, parfois sur une réplique banale, ses yeux se remplissaient de larmes. Puis, tout à coup, une expression joyeuse éclairait ses traits.

Elle passait chaque jour un temps plus ou moins long dans la chapelle funéraire des Fairtime, ou, naguère, de par sa volonté, avait été amenée la dépouille de François de l’Étoile.

La femme de chambre l’avait trouvée une fois, endormie dans sa chambre, auprès d’un petit bureau secrétaire, habituellement fermé à clef.

Le meuble était ouvert. Sur la tablette, un cahier était étalé auprès de l’encrier. La jeune fille avait été trouvée par le sommeil au milieu d’un travail d’écriture.

Curieuse comme toute soubrette, la servante avait lu et constaté ainsi que sa jeune maîtresse tenait un « journal » de ses moindres actions, un journal dans lequel, à chaque paragraphe, elle s’adressait à François.

Elle écrivait au mort. Qui, après cela, eût put douter du désarroi de sa raison ?

Et voilà pourquoi sans doute, sur la terrasse dominant le parc, lord Fairtime et ses fils causaient à voix basse, tandis qu’absente, lointaine, ses grands yeux levés vers le ciel, Édith s’abandonnait à un rêve inexpliqué. Elle tressaillit tout à coup, et murmura :

— Quelles nouvelles, aujourd’hui ?

À qui s’adressait la question, on n’eût su le dire. Ce fut Péterpaul qui répondit :

— Nous en aurons demain probablement, petite sœur. En ce moment commence, à Berlin, la grande réception de l’Empereur d’Allemagne.

Péterpaul s’était improvisé le compagnon, le garde-malade d’Édith, et il était touchant de voir avec quelles délicates attentions, le robuste sportsman veillait sur la pauvre enfant,

Que signifiaient les paroles prononcées ? Probablement correspondaient-elles à quelque rêve inexprimé de la jeune fille.