Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.
144
L’AÉROPLANE-FANTÔME

Alors, en l’espace d’un éclair, il se passa une chose incompréhensible, il y eut une minute d’héroïsme raisonné.

Si rapide que Tril ne comprit son intention qu’après sa réalisation, Suzan se précipita vers le molosse. D’un mouvement preste, elle lui appliqua sur le museau, tel une muselière, le petit baquet de saucisses faisant partie de son déguisement, et elle entoura du lacet qui s’appliquait naguère sur ses épaules, le cou puissant de l’animal.

Puis, celui-ci surpris, hésitant, partagé entre le désir de mordre les intrus découverts par lui dans le parc de la Chancellerie, et celui de dévorer les saucisses succulentes mises en contact avec son museau, Suzan saisit la main de son compagnon, le tira vers la porte. Au moment de la franchir, elle désigna de la main le chien de garde.

Ce dernier avait succombé à la gourmandise. Il mangeait gloutonnement les saucisses.

Clac, la porte se referme, mettant entre la bête et les jeunes gens un obstacle infranchissable.

Avec une rare présence d’esprit, la fillette a dénoué la situation. Aux aguets dans la rue, elle a entendu les grognements du molosse, le bruit de la lutte. Elle a deviné son ami en danger. Elle s’est précipitée à son secours.

Mais l’heure n’est point propice aux effusions.

Un serrement de mains exprime la gratitude de Tril, et, déjà repris par le devoir qu’il s’est imposé :

— Le chauffeur, c’est Von Karch. Il nous faut une auto pour le suivre.

Suzan a compris, elle ne demande aucune explication.

Elle prend le pas de course, remontant la rue vers la Porte de Brandebourg. Le gamin trotte auprès d’elle.

Ils rejoignent Ketty, demeurée en sentinelle à l’angle de l’avenue. Ils ont un cri de joie. Dans cinq minutes, ils seront à l’extrémité de la place de Paris, là où stationnent les automobiles de location.

Mais leur joie se transforme en désespoir. Une machine file devant eux comme un météore. Au passage, ils ont reconnu le mécanicien mystérieux.

D’un élan inconscient, ils se ruent vers la voiture qui emporte leur ennemi. On croirait qu’ils espèrent l’arrêter.

Effort vain. L’automobile s’est déjà engagée entre les taillis de Thiergarten, dévorant la route de Charlottenbourg.

Quand ils arrivent en face de la large avenue, la machine est bien loin.