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ma mère. Je me souviens toutefois de l’avoir entendue nous raconter que ses parents étaient de riches hôteliers. Son père, un Turc bon et pieux, avait été envoyé de Stamboul, avec firman de la Sublime Porte, pour ouvrir une hôtellerie à Ibraïla, vers la fin du xviiie siècle ; mission lui était donnée de recevoir et d’héberger tous les gros personnages que le Sultan envoyait dans son pachalik. Il avait trois femmes, deux Grecques et une Roumaine ; la dernière, mère de ma mère ; les deux autres, mères de trois garçons dont un était devenu fou et s’était pendu. Mais ma mère aussi bien que ses deux frères de l’autre lit ne s’accordaient dans la maison paternelle que pour la chambarder. À ce qu’il paraît, on ne faisait rien de plus intéressant, dans cette maison, que d’entasser de l’argent, et de prier deux Dieux dans trois langues différentes.

Les deux garçons se lancèrent dans la contrebande, et ma mère, encore très jeune, était prête à les suivre, quand le brave Turc se décida promptement à la marier à un homme sévère et sans cœur, mon père, qui s’amouracha d’elle, « probablement, disait ma mère, dans un moment où le Seigneur se curait le nez. » Mon grand père donna à mon père beaucoup d’or, et légua à ma mère une grosse partie de sa fortune,