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J’avais dans les onze ans ; Kyra, dans les quinze ; et d’elle, j’étais inséparable. Une volupté, que je jugeai plus tard, me tenait attaché à elle. Je la suivais partout, comme un chien, je l’épiais lorsqu’elle faisait sa toilette, j’embrassais les vêtements imprégnés de son odeur ; et la pauvre fille se défendait faiblement, tendrement, me croyait innocent, point dangereux. À vrai dire, je n’avais aucune intention précise, je ne savais pas ce que je voulais, je mourais de plaisir, et je m’étourdissais près d’elle.

Il faut dire aussi que, dans la maison de ma mère, on était dans l’enfer de l’amour. Tout était amour : les deux femmes, comme leurs amoureux, comme les toilettes, les liqueurs, les parfums, les chants et les danses. Même la fuite grotesque et dramatique des amoureux me semblait voluptueuse et passionnée. Il n’y avait que l’arrivée du père et notre passage à tabac qui étaient déplaisants et sans amour. Mais on les acceptait comme une rançon, la rançon du plaisir. Ma mère disait :

« Tout bonheur a son revers ; la vie même, nous la payons avec la mort… C’est pour cela qu’il faut la vivre. Vivez-la, mes enfants, selon vos goûts, et de façon