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bre, les deux hiboux de notre malheur se jetaient sur la pauvre femme et lui demandaient s’il y avait eu quelque chose. À son refus de parler, les maudits croque-morts lui tombaient dessus avec leurs conseils de séparation et la torturaient jusqu’au désespoir.

« Ce martelage et cette destruction systématique du peu que la nature essayait de rebâtir, durèrent dix mois. Nous étouffions. Les deux bourreaux de Galatz commençaient à devenir agressifs : ils m’insultèrent et me sommèrent de décider ma femme à la séparation. Il n’y avait plus moyen d’y tenir. Blottis l’un contre l’autre, nous refusions souvent de descendre à table, nous passions des jours avec un seul repas, et nous vîmes brusquement surgir devant notre pensée l’idée de nous sauver.

« Elle me demanda si je pourrais gagner notre vie avec le peu d’argent qui me restait, et à ma réponse enflammée sur l’avenir de liberté et d’amour que j’étais capable de lui ouvrir loin de cette maison funeste, des larmes de bonheur jaillirent de ses yeux. Enlacés comme deux frères perdus dans un monde ennemi, nous avions les visages et les vêtements baignés de nos propres larmes, et nous avons vécu les