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tés, mais un jour, tu regretteras tes actions ; le petit voyage que tu fais aujourd’hui te donnera le goût d’en faire, demain, de plus longs, de toujours plus longs ; et si tu ne peux pas me garantir le bonheur que cet avenir te réserve, je suis certaine, moi, que nous aurons à en pleurer tous les deux, ce qu’à Dieu ne plaise. »

Il voulut répondre, mais elle le quitta. Cloué sur place, Adrien la suivait du regard ; elle allait droit devant elle, tout droit, comme sa vie avait été droite, simple, douloureuse ; quant au seul écart dont elle s’était rendue coupable, elle ne le regrettait pas, encore qu’il lui coûtât cher. Avec son cachemire sur la tête, sa blouse en tissu bon marché, son mouchoir à la main droite, elle soulevait légèrement de sa main gauche la jupe trop longue qui ramassait la poussière, et elle tenait les yeux fixés devant ses pieds, comme si elle eût cherché quelque chose, — quelque chose qu’elle n’avait pas encore perdu, quelque chose qu’elle était en train de perdre.

Mon pauvre frère Adrien !… Tu trembles… Dans cette charrette qui s’enfonce sur la route nationale, blotti sur le coussin, flanqué de Stavro, qui guide le cheval au trot et chante en arménien, à ta droite,