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Ses remerciements furent brefs et secs. Elle trouva que notre vie était écœurante ; pour un peu, elle nous aurait reproché la misère de sa mère. Elle afficha son dédain, en se louant une maison pour soi seule, vint nous faire une visite journalière d’un quart d’heure et versa à Set Amra une somme d’argent ridicule, qui nous fut remise pour nous « dédommager ». Parée de toilettes exotiques et de bijoux précieux, elle s’étala comme une marchandise aux yeux jaloux du village.

Un jour, une voisine vint nous dire qu’un beau rastaquouère montait en voiture de Beyrouth, visiter Sélina. Sélina, ma promise, ma fiancée !…

« Ah, Barba Yani, que la vie est pleine de déceptions » hurlai-je, tombant sur l’épaule du seul ami sincère que j’eusse.

« Tu ne le savais pas, Stavraki ?… Eh bien, apprends-le de nouveau. Et en attendant, prends ton ibrik, cherche le mien, ramassons nos frusques et partons ! Partons : la terre reste belle ! »

Nous partîmes, laissant en pleurs la pauvre Set Amra. Et, trois mois de suite, nous parcourûmes les superbes contrées du mont Liban, nous abreuvant à ses sources limpides et abreuvant les Libanais de notre éternel salep.