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Alors, suivant l’exemple des Libanais, je grimpai sur le toit avec le rouleau compresseur et au milieu de l’hilarité débordante des habitants je m’éreintai à courir en long et en large sur la terrasse, traînant derrière moi le lourd cylindre qui me heurtait les talons et me faisait tomber sur le nez.

Ah, sacré cœur, tu m’en as fait des misères !

J’allai plus loin. En montrant, un jour à Barba Yani, les lèvres encore rouges et charnues de Set Amra, qui suçait voluptueusement du tchibouk, je lui dis :

« Eh, Barba Yani ! Ces lèvres-là… Qui sait ? Peut-être qu’elles savent encore baiser autre chose que l’ambre du narguilé ! Et il se pourrait bien que nous célébrions deux mariages à la fois ! »

Oui, deux mariages, voyez-vous ?… Car le mien avec Sélina était sûr et certain comme notre pauvreté…

« Ah, Stavraki ! » s’exclama le pauvre ami. « Tu as encore beaucoup à courir avant de connaître la vie ! »

Il fut bon prophète.

Sélina arriva. Belle brune aux yeux de diable et aux cheveux abondants, grande, solide, vive comme le mercure, mais âme de commerçante et intelligence de cocotte. Elle nous intimida tous, dès le premier jour.