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suffoquait, nous nous sauvions dans la vie sans paroles, dans la vie où la nature seule parle aux yeux et au cœur.

Barba Yani était capable de marcher une journée entière sans prononcer un mot. Du regard, seulement, il me montrait ce qui était digne d’attention. Il appelait cela « prendre un bain désinfectant ». C’était bien ça. L’œuvre muette de la Création purifie et rend à lui-même l’homme humilié par la bassesse et il n’y a pas d’homme, si puissant soit-il, qui pourrait passer par la vermine sans se sentir infecté.

Mais ce grand compagnon de mon adolescence était, en plus, un connaisseur de l’antiquité et de ses philosophes. Toutes ses dissertations sur la vie, — son plus grand plaisir aux heures de repos, — étaient illustrées par des exemples tirés de la sagesse. Il n’était pas un sage, mais il aimait le calme conscient du cœur :

« Tôt ou tard, l’homme intelligent arrive à comprendre l’inanité du vacarme sentimental qui trouble la paix et brûle la vie », me disait-il. « Heureux celui qui arrive à le comprendre tôt : il n’en jouira que mieux de l’existence. »

Un jour froid d’automne, nous nous trouvions sur un champ de manœuvres près