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ville de la Grèce, il avait commis une erreur passionnelle qui lui avait valu deux années de prison et la perte de son titre. Au sortir de la prison, il avait dû quitter la ville, errer dans plusieurs autres, faire du commerce, connaître des revers, lier des amitiés, se saigner le cœur. Une autre aventure amoureuse faillit lui coûter la vie. Alors il passa en Asie Mineure et vécut dans la solitude, dans l’indépendance, presque dans la sagesse.

C’était un homme qui savait parler et savait se taire, exerçait la bonté sans devenir bonasse, et lorsqu’une tête ne lui allait pas, il était inutile d’insister. Il connaissait tous les dialectes du Proche Orient et partageait tout son temps libre à lire, à flâner, à laver son linge. Il ne me poussait à rien, mais me montrait seulement ce qu’il était bien, utile, intelligent de faire. C’est de lui que je tiens de savoir écrire et lire en grec. Me voyant si fidèlement attaché à sa vie, il ne me marchanda pas son affection. Au commencement, je l’appelais « monsieur » ; il me demanda de lui dire « Barba »[1]. Bientôt, oubliant la perte de mon Kémir avec son précieux trésor, j’allais devenir

  1. Barba, oncle, en grec, mot qui s’applique familièrement à tout homme âgé avec qui on sympathise ; ainsi : Barba Yani.