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J’ai dû céder, et le providentiel vendeur de salep apprit tout le drame. Son remède fut rapide comme l’éclair.

« Stavraki ! » me dit-il, en adoptant prudemment mon faux nom et lui créant un diminutif. « Tu dois, d’abord, renoncer à chercher ta sœur d’une façon si peu sage. Sache qu’on arrache plus facilement une biche de la gueule du tigre, qu’une femme enfermée dans un harem. Et si tu arrives à maîtriser cette faiblesse de ton cœur, pour le reste c’est facile comme bonjour : tu possèdes trois mégdédies ; eh bien, cet argent suffit pour t’acheter un ibrik à salep et des tasses, c’est-à-dire ce que tu vois dans mes mains et qui me fait vivre librement depuis vingt ans. Après quoi, l’ibrik sur un bras, le panier sur l’autre, Barba Yani à côté de toi, on ira gaillardement battre les rues, les places, les fêtes, les foires, et crier joyeusement : « Salep !… Salep !… Salep !… Voilà le salepgdi ! » La bonne terre du Levant s’ouvrira grande et libre devant toi, oui, libre, car quoiqu’on dise de ce pays turc absolutiste, il n’y en a pas un où on puisse vivre plus librement ; mais à une condition : c’est de t’effacer, de disparaître dans la masse, de ne te faire remarquer par rien, d’être sourd et muet… Alors, et seulement alors, tu pourras entrer par-