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sans l’exterminer, puisqu’il sauva du désastre un patriarche juste et sa famille. Il est vrai que l’humanité qui a suivi le Déluge n’a pas valu mieux que la précédente ; mais ce n’est pas de sa faute, à elle. C’est que Dieu (comme moi à seize ans) connaissait mal le monde et n’a pas su ce qu’il faisait.

J’ai su, moi, depuis le jour où le destin m’a envoyé un Barba Yani, vendeur de salep et âme divine, j’ai su qu’il doit se considérer comme heureux, l’homme qui a eu la chance de rencontrer dans sa vie un Barba Yani. Je n’en ai jamais rencontré qu’un seul, lui. Mais il m’a suffi pour supporter la vie, et, souvent, la bénir, chanter ses louanges. Car la bonté d’un seul homme est plus puissante que la méchanceté de mille ; le mal meurt en même temps que celui qui l’a exercé ; le bien continue à rayonner après la disparition du juste.

Comme le soleil qui disperse les nuages et ramène la joie sur la terre, Barba Yani foudroya le mal qui rongeait mon âme et remplit mon cœur de santé. Ce ne fut pas sans résistance de ma part ; ce ne fut pas sans opposition vexante ; mais quel est le cœur qui, tant meurtri soit-il par la vie, est capable de tenir tête à l’explosive bonté ?