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un café-caïmac et un narguilé. De nouveau je fis attention aux pièces que les autres donnaient pour leurs consommations ; à mon grand étonnement, je découvris que dans la seule pièce d’argent du tschérèk il y avait de quoi boire dix cafés et fumer autant de narguilés, pourboire compris.

J’examinai les visages des deux joueurs, mes voisins, un officier et un civil, tous deux encore jeunes, fortement absorbés par leur jeu ; ils le regardaient avec une fixité qui me donnait mal à la tête. Ils me parurent sympathiques, surtout la figure un peu bourrue de l’officier à côté de qui j’étais assis. Ils parlaient fort peu, mais dans un turc exquis, ce qui me plut et, en même temps, me glaça le cœur, car Nazim Effendi parlait également exquis. Mais l’uniforme de l’officier me rassura :

« Ça doit être un brave, » me dis-je, en regardant sa poitrine couverte de décorations. Et sans plus, à brûle-pourpoint, je me penchai vers lui et dis :

« Pardon, monsieur, savez-vous ? »

D’un signe de l’index, sans me regarder, il arrêta net ma parole.

Cet insuccès, dû à un mouvement si familier, me donna, au contraire, de la confiance, et, peu après, je me penchai de nouveau pour l’interroger ; mais avant d’ouvrir la