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Elle était donc si belle, la terre ? Je n’en savais rien jusqu’à ce moment-là. Je la voyais pour la première fois… Le salon de maman et la prison flottante de Nazim Effendi remplissaient toute ma vie passée. Et à tel point mon abandon fut démesuré dans le vertige de cette féerique journée, mais surtout dans la rêverie de sa fin crépusculaire, qu’au moment où une belle et mélancolique chanson s’éleva d’un canot à rames qui passait lentement près de moi, il faisait presque nuit. Où me trouvais-je ? Où manger ? Où dormir ? Et où étaient-elles, Kyra et maman ?… Vers quelle affection devais-je diriger mes pas ?…

Les sanglots gonflèrent ma poitrine, des cris s’échappèrent de ma gorge, et des larmes chaudes inondèrent mon visage.

Le rameur m’entendit, et vira vers moi, mais lorsqu’il fut à deux mètres du quai, il allongea le cou, m’examina une minute, puis s’éloigna en criant fort en langue grecque :

« Oooh !… « mon âme ! »… Tu ne dois pas être si malheureux que ça : tu es tout couvert d’or ! »

Depuis ce soir-là, je ne me fie pas toujours aux hommes qui ont une belle voix.

Ce fut au chemin solitaire qui menait à la ville que je criai ma détresse, toute la