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J’oubliais l’homme qui conduisait l’animal par la bride et qui ne soufflait pas mot, tout de même que moi je ne lui posais pas la moindre question ; je ne desserrai les dents tout le long de cette inoubliable course. Et ce fut comme dans un rêve que je sentis, à un moment donné, le cheval s’arrêter et une voix méconnaissable qui me disait en miaulant :

« Effendi, il est tard. Il va faire bientôt nuit. Et j’ai faim, et la bête aussi. Faut-il vous conduire à la porte de votre demeure ? »

Je compris que je devais descendre, et je descendis, la tête étourdie. Entre les jambes, une sensation douloureuse me fit perdre l’équilibre, et je m’assis tout bonnement sur le sol.

« Vous voulez rester là ? » questionna l’homme. Je fis un signe affirmatif de la tête et je tirai de ma poche une livre d’or que je lui remis. Je savais qu’il fallait payer, mais je n’avais aucune notion de la valeur de l’argent, ni de celle des choses utiles à la vie.

« Ça fait trois tschérèks[1], » dit-il ; « ne les avez-vous pas, par hasard ? »

Machinalement, je voulus lui remettre encore deux livres :

  1. Monnaie turque, en argent et en cuivre.