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connaissais pas le plaisir de glisser sur le fleuve dans une de ces barques dont les rameurs chantent, langoureux, en descendant le courant.

En ce temps, le port n’avait point de quai, et on pouvait avancer de dix et vingt pas, jusqu’à ce que l’eau vous arrivât à la poitrine. Pour entrer dans une barque, il fallait traverser de petites passerelles en bois ; les voiliers, ancrés au loin, frottaient leurs coques contre des pontons qui soutenaient un bout du grand pont fait de billots et de planches. Une fourmilière de chargeurs turcs, arméniens et roumains, le sac au dos, allait et venait en courant sur ces ponts qui pliaient sous le poids.

Je commençai par contempler de loin tout ce monde ; puis, j’allai me mêler aux gamins des quatre ou cinq nations qui habitaient la ville, et je pris goût à leurs jeux. J’aimais surtout les voir se baigner, tout nus comme de petits diables bruns. Je voulus même me baigner avec eux, mais je fus effrayé en voyant comme ils se battaient dans l’eau, se plongeaient mutuellement la tête jusqu’à s’asphyxier ; et un jour, ils ramenèrent sur la rive un petit lipovan, blond comme moi, qui s’était presque noyé et qui ne soufflait plus.