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Des tortues se mouvaient lentement, et leurs œufs, un peu plus gros que des œufs d’oiseaux, s’alignaient le long des murs. C’est au milieu de cette misère que ma mère vivait depuis quarante-huit heures.

Quand nous la découvrîmes, elle se tenait debout, la tête enveloppée dans les lambeaux de ses vêtements qui n’existaient plus, car ils n’étaient que loques. Nous l’aidâmes à monter l’escalier gluant ; et dehors, au spectacle de ce qui restait de notre brillante mère, nous tombâmes à ses pieds, comme devant une martyre. Un œil était caché sous le bandage, mais on pouvait juger de son état d’après le reste du visage tuméfié, le nez crevé, les lèvres fendues, le cou et la poitrine pleins de sang caillé. Les mains, également, étaient ensanglantées, et un doigt écrasé.

Elle nous releva, et dit d’une voix sourde :

« Sauvons-nous, avant tout !… Et prenez avec vous un peu de nourriture. »

Nous rentrâmes dans la chambre, où elles se lavèrent et s’habillèrent sobrement, à la hâte ; ma mère emporta la cassette avec ses bijoux et l’argent, et nous descendîmes lentement la pente du talus, après avoir jeté l’échelle à l’intérieur et refermé la fenêtre par laquelle tant de moussafirs s’étaient sauvés. Il était écrit qu’en dernier lieu la