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nourriture. C’était gras ou maigre, plantureux ou succinct, indigeste ou léger, au hasard de la changeante fortune quotidienne, sans le moindre souci d’hygiène ou de régime. Du moins, Casimir ne se mettait jamais la ceinture, fait digne d’être pris en considération par un gaillard qui avait autrefois, plus souvent qu’à son tour, usé de ce piteux subterfuge pour remplacer d’introuvables ortolans.

Joignez à cela que se tuant à faire des ménages, de l’aube à la nuit tombée, Sophie ne commettait jamais l’indélicatesse de demander à son maître et seigneur ce qu’il faisait de ses journées. Question superflue, du reste, nul n’ignorant dans le quartier, qu’il les passait tout entières au petit bar du coin, à jouer au zanzi, aux dominos ou au jacquet.

En outre, si elle excellait à dissimuler, avec l’adresse que donne une longue habitude, l’argent indispensable pour faire marcher le ménage, la douce créature, en ses heures d’opulence, laissait assez facilement traîner des pièces de vingt et de quarante sous, sans trop s’étonner ensuite de leur mystérieuse et immanquable disparition.

Enfin, bien que Casimir lui cachât, avec le plus grand soin, les combines équivoques et les louches pratiques d’où il tirait l’argent de ses menus plaisirs, Sophie n’avait jamais le mauvais goût demander par quel prodige il pouvait rentrer ivre quatre ou cinq fois par semaine, bien qu’affirmant n’avoir jamais un sou à dépenser. Cela tient peut-être à ce que Casimir, quand il était très ivre, était toujours très amoureux, raison qu’apprécient, mieux que personne, les femmes qui commencent, comme Sophie, à s’amocher d’irrémédiable façon.

Les trois mois d’essai s’écoulèrent sans que Casimir eût travaillé un seul jour, sans qu’il eût jamais subi le moindre reproche acrimonieux. C’est pourquoi, un dimanche matin qu’on s’attardait au plumard, il décréta soudain :

— Maintenant, ma bibiche, on va se marier pour de bon.

— Pour quoi faire ? demanda Sophie tout éberluée.

— Pour faire ça ! répondit Casimir.

Et il se mit à lui démontrer, expérimentalement, ce que font ensemble les messieurs et les dames unis par les liens sacrés du mariage légitime.

Sophie se prêta fort volontiers à la démonstration. Elle