Page:Ista - Rosiere malgre elle, 1928.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 21 —

vouloir en sortir, comme deux bouts de bananes qu’on eût poussés par derrière.

— Coucher avec moi ! hurla-t-il… Voilà qu’elle veut coucher avec moi, foutre du czar !… De quel claque sors-tu, petit chameau… pour croire que l’on couche avec moi ?

Encore engueulée ?… Crotte alors !… Qu’elle dît oui ou non, ça finissait toujours sur le même air… C’était pas juste, tout de même ! pensait la pauvre Zouzoune.

— Coucher avec moi ! beuglait cependant l’autre… Sais-tu bien, petite garce, que Clovis Tournevire a quarante ans de métier, et qu’il n’a jamais touché une de ses élèves, si ce n’est pour lui flanquer des claques quand elle le méritait !… Sais-tu que je suis un brave et honnête bourgeois, qui possède quelque part une bonne vieille bourgeoise à qui il a fait huit enfants !… Crois-tu que je ne me fatigue pas assez, pour nourrir tout mon petit monde, sans m’esquinter encore à coucher avec des saletés de ton espèce !… Coucher avec moi, foutre du grand vizir !… Et si je t’envoyais coucher à la rue, pour t’apprendre ?

Désespérée, humiliée, Zouzoune sanglotait tout doucement, redevenue soudain, dans l’appréhension des taloches, la petite fille qu’elle était naguère encore. L’empoignant à pleine main par une boucle de cheveux, Clovis Tournevire, avec une douceur fort relative, la contraignit à relever la tête. Longuement il vrilla son regard perspicace dans les yeux purs et candides de la fillette. Puis il bougonna, baissant soudain le ton :

— Non, tu n’es pas une salope… Et je m’y connais, depuis le temps que j’en vois gambader… Toi, tu n’es qu’une pauvre petite bête qui ne sait rien encore de la vie, et qui se fabrique des tas d’illusions sur tout… Si c’est pas malheureux de ne pas même avoir le temps de faire un peu de morale à toutes ces idiotes qui viennent se pourrir ici, en y cherchant ce qu’on n’y trouve jamais… Pas le temps… Jamais le temps pour autre chose que pour trimer, quand on a huit gosses à nourrir…

Il resta songeur, un instant, l’air sincèrement apitoyé. Mais, ayant tiré sa montre, il bondit soudain en vociférant :

— Trois heures !… Et on n’a encore rien fichu de bon !…