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Y’ a trop d’flicaille et d’becs de gaz, pour qu’on ose s’sucer la pomme… Les talus des fortifs, c’est pas fait pour les clebs, p’t’être bien !

Docile, la petite se suspendit à son bras, et ils s’en furent, l’allure faussement tranquille, à la recherche du petit coin bien noir, bien désert, où il arriverait ce qui devait arriver.

Mais Zouzoune, si elle marchait fort résolument au sacrifice, ne tarda pas à sentir une légère désillusion, déjà sourdre, peu à peu dans son petit cœur. Le boulevard n’était pas si bien éclairé que ça, après tout, et elle estimait, avec un grand bon sens, que Sosthène eût pu, histoire de gagner du temps, se livrer illico à ces premiers travaux d’approche qu’elle attendait avec tant d’impatience. Il ne se fût rien cassé, tout au moins, à lui dire des choses aimables et gentilles. Mais le gars marchait à côté d’elle, taciturne, sage, trop sage, les mains déplorablement enfouies en ses poches, l’âme prise tout entière, sans doute, par de laborieuses recherches dans son répertoire de citations. Il grasseya, tout à coup :

— Dieux ! Que ne suis-je assis à l’ombre des forêts !… Racine !… Pour sûr, nom de Dieu ! qu’ça s’rait plus bath, si qu’on s’rait à Meudon ou à Montmeurency !

Et il retomba dans son mutisme, les mains, hélas ! plus inactives que jamais.

— C’est pourtant pas pour écouter dire des vers, qu’on m’a collé deux gentils petits nichons ! songeait Zouzoune désappointée.

Le petit coin noir et désert se faisait désirer. La voix de Sosthène scanda, maussade :

— Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, — Dans la nuit éternelle emportés sans retour, — Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges — Jeter l’ancre un seul jour ?… Lamartine !… J’en ai marre, moi, d’ce fourbi-là… Va-t-on l’ dégoter, oui-z-ou non, eul’petit coin où qu’on pourra j’ter l’ancre ?

— Comme tu causes bien mon chéri ! gazouilla Zouzoune, sans penser un mot de ce qu’elle disait, mais faisant un louable effort pour se montrer gentille, et peut-être pour allumer quelque peu ce grand flandrin.

La voix grasse de Sosthène répondit :

— Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées —