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par un beau dimanche

jaunes flambant neuves. Il salua fort poliment à la ronde, puis demanda à Mérance si l’on pouvait lui servir à déjeuner. Le Nuton le regarda d’un air abruti, sans mot dire ; Eudore, de son coin, répondit : « Non, monsieur ! Fichez-moi le camp ! » et Séraphie, du fond de son antre, glapit en même temps : « Oui, monsieur ! Asseyez-vous ! » Sur quoi Mérance mit un couvert de plus, puis poussa une chaise aussi haute qu’elle entre les jambes du jeune homme, qui s’assit d’un air assez interloqué.

En le voyant venir, M. Brusy avait sursauté, puis esquissé de nouveau, à hauteur de la hanche, son petit geste de congédiement. Mais, comme personne ne parut y faire la moindre attention, il n’insista pas et se mit à table entre ses deux nièces.

Lui seul, du reste, donnait quelque trace d’émotion apparente. Nul, parmi les convives, ne semblait se soucier au nouveau venu ; mais Marie et Joséphine eussent certainement remporté le premier prix, ex æquo, si l’on avait joué à « ne pas sembler connaître ce jeune homme ».

Le repas commença dans un silence cérémonieux et gourmé, inévitable entre gens dont la plupart, mangeant chez eux en bras de chemise, se croient tenus de montrer en public le savoir-vivre le plus raffiné, ne sont jamais bien sûrs de ne pas enfreindre les règles de l’étiquette, et se surveillent mutuellement « pour voir comment on fait ».

Sans bouger de son coin, Eudore s’efforçait aimablement d’animer un peu la séance, poussant de formidables « Hue, Cocotte ! » à l’entrée du rosbeef, des miaulements aigus à l’arrivée d’une gibelotte de lapin, et affirmant avec des mines dégoûtées qu’il fallait avoir bien faim pour manger de ça. Il passait le reste du temps à se verser des tournées de cinq ou six verres,