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par un beau dimanche

Nourrie de restes, vêtue de loques, terrorisée par la brutalité du patron et les criailleries continuelles de la patronne, la pauvre Mérance montrait, dans une large face plate et blême, sans âge appréciable, un étrange petit nez qui parvenait à être à la fois camard et crochu, une bouche en coup de sabre qui s’est tiraillé en se cicatrisant, pas plus de menton que chez une jeune ablette, et deux petits yeux très noirs, très brillants, toujours effarés, toujours clignotants, toujours allant et venant, entre leurs paupières bordées de jambon, comme deux museaux de souris derrière les barreaux d’une souricière.

Au village, on l’appelait « le Nuton », du nom que le folklore régional donne aux gnomes et aux farfadets de la légende.

Mérance avait pris l’étrange habitude de ne jamais se déplacer, fût-ce de quelques mètres, qu’en compagnie d’un immense balai dont elle semblait avoir fait son inséparable « contenance », comme d’autres font d’une ombrelle ou d’un sac à main. Pour aller de la cuisine à l’étable, de l’étable à la cour, de la cour à la salle d’auberge, cent fois par jour elle empoignait ce compagnon beaucoup plus grand qu’elle, le gardant avec amour sur son épaule ou sous son bras, pendant les besognes les plus compliquées, et ne le posant auprès d’elle que quand il lui était impossible de faire autrement. Mérance avait ses raisons pour agir ainsi : Séraphie et Eudore se montrant, pour un oui ou pour un non, fort prodigues de taloches, la servante, en de telles occurrences, usait de son ustensile, non pour des ripostes qui lui eussent semblé sacrilèges, mais pour des parades auxquelles étaient inaptes ses petits bras, trop exigus pour cacher, dans le repli du coude, la moitié seulement de son énorme tête. Le moyen se trouvait, hélas ! bien loin d’être infaillible. Du