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par un beau dimanche

mangeant comme un ogre, ne touchant à rien que pour briser ou méfaire, rinçant la dalle à tous les mauvais sujets de la contrée, faisant fuir la plupart des clients sérieux, tant il les traitait avec ironie et sans-gêne, et rossant imperturbablement sa femme dès qu’elle essayait de le contrecarrer en quoi que ce fût. Du reste, gai comme un pinson et chantant toute la journée, sans même s’interrompre quand le souci de son bien-être l’obligeait à épousseter à coups de pied les jupes de Séraphie.

La vieille n’en essayait pas moins, avec une patience inlassable, de limiter les dilapidations de son époux. Elle gardait nuit et jour la clef de la cave dans sa poche, ne laissait jamais traîner un sou et ne servait que des pommes de terre et des rogatons sur la table de la cuisine, où elle mangeait avec Eudore et la servante Mérance.

Mais le mari ne s’étonnait pas pour si peu. D’autorité, il prélevait les meilleurs morceaux dans les casseroles destinées aux clients, et, sa portion conquise, renversait tranquillement le reste du fricot sur le couvercle du fourneau, si Mme Pocinet se permettait la moindre observation. Avait-il besoin d’argent, il décrochait le premier objet venu, meuble ou harde, et filait le vendre chez quelque voisin, où Séraphie était obligée d’aller le racheter pour peu qu’elle tint à le ravoir. Quand il s’agissait de s’humecter le gosier, rien n’arrêtait Eudore, chez qui une soif inextinguible s’était déclarée dès le lendemain de son mariage. Profitant des moindres absences de sa femme, il parvenait à la cave par les chemins les plus inattendus, dévissant les serrures, descellant les grilles des soupiraux, allant même jusqu’à se frayer, à coups de pioche, un passage à travers les cloisons. Une fois dans la place, notre homme emplissait quarante ou cinquante