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par un beau dimanche

Affolée, perdant la tête, elle fit alors la suprême bêtise : à cinquante-cinq ans, elle épousa un jeune gars sans le sou, mais de corps robuste et d’esprit débrouillard, s’imaginant acquérir, par ce moyen, un intendant intègre et dévoué, doublé d’un domestique dont elle ne payerait pas les gages.

Eudore Pocinet était le type du faraud de village, du beau gars que le service militaire et le séjour à la ville ont par trop dégourdi et quelque peu faisandé. Employé comme garçon-livreur dans une brasserie de la région, il ne travaillait pas plus mal qu’un autre, ne buvait pas plus qu’un autre, étant trop fin matois pour ne pas savoir qu’une réputation de mauvais sujet est le plus dangereux des écueils, quand on cherche fortune et qu’on ne possède pas un sou. Affable et beau parleur, écrivant avec facilité et lisant le journal tous les jours, ayant une idée sur toute chose, un conseil à la disposition de chacun, il était en général tenu pour un malin et cultivait adroitement cette réputation. À près de trente ans, il ne s’était jamais compromis avec aucune femme, fille ou veuve. Quand on lui parlait mariage, il répondait, en clignant de l’œil d’un air roublard : « Du chenu, ou rien ! » Soit par respect inné pour les tas de gros sous, soit qu’il eût déjà son idée de derrière la tête, il se montrait le plus charmant, le plus obligeant et le plus sobre des hommes, chaque fois que son métier le conduisait à l’auberge du Neur-Ry, où le quintette Créton le tenait en haute estime.

Comment empauma-t-il la vieille Séraphie ? Quelles promesses lui prodigua-t-il ? Quel avenir fit-il luire à ses yeux ? On ne le put jamais savoir. La nouvelle des fiançailles éclata à l’improviste, sans que personne se fût douté de rien. Et le mariage se célébra aussitôt que pos-