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par un beau dimanche

cendait lentement vers l’abreuvoir, le long du chemin creux. Et un frais ruisseau, tout allumé d’éclairs, se faufilait parmi les prairies, se glissait entre les arbres, se précipitait sous les rustiques passerelles, murmurant, bouillonnant, cascadant, puis, au moment de joindre ses eaux à celles de la rivière, se calmait, soudain élargi, pour refléter dans son tranquille miroir le feuillage argenté de trois vieux saules.

— L’auberge du Neur-Ry, autrement dit du Ruisseau-Noir, où nous allons déjeuner, expliqua le docteur.

— Comme c’est poétique ! déclama prétentieusement la grande Joséphine. Quelle délicieuse oasis !… Quelle aimable Thébaïde !… Comme l’âme, du fond de cette charmante vallée, doit aisément s’élever vers les plus nobles conceptions !… Et quel ravissant sujet pour les pinceaux d’un peintre amoureux de la belle nature !

— On doit se la couler douce, là-dedans, observa plus pratiquement M. Hougnot. Moi, si je ne devais pas rester auprès de mes filles pour veiller sur elles, si je pouvais vivre à ma guise dans cette ferme, je sens que je mourrais centenaire !

— C’est le plus joli sujet de chromo et le meilleur nid à rhumatismes de toute la région, affirma l’oncle Brusy, peu enclin à partager les idées toutes faites en matière d’esthétique et d’hygiène.

Mais les trois autres protestèrent avec tant de véhémence, Joséphine psalmodia une telle litanie de métaphores admiratives et clichées, de qualificatifs louangeurs et périmés, Hougnot traita si rudement son beau-frère d’idiot et d’abruti que le docteur s’en tint là, et garda pour lui seul les résultats de vingt années d’observations minutieuses et précises sur cette vallée. L’opposition étant bien et dûment battue, il