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par un beau dimanche

mela : « Pas bon… Pas bon ». Puis la lumière se remit en marche, malaisément, à travers les noirs fourrés barbelés d’épines menaçantes.

Pourtant, la bise tombait, peu à peu. Les aigres et cinglantes rafales de la pluie se changeaient en une bruine toute légère, toute menue, et la marche devenait de moins en moins pénible, sur la pente plus douce et le sol mieux battu.

M. Brusy continuait à monologuer :

— L’homme est égoïste et le sera toujours… Pourquoi ferais-je autrement que mes semblables ?… La vie n’est qu’une lutte perpétuelle où le plus fort mange le plus faible… Il faut donc manger les autres, si l’on ne veut pas être mangé… Soit ! je les mangerai !… Gare à qui m’approchera désormais, car je prétends le dévorer tout cru !… Être juste, être bon, c’est l’éternelle niaiserie des nigauds et des sots… Je ne veux plus être dupe !… Dès demain, je réclamerai le montant de mes honoraires à la vieille Manette et à la petite Phrasie… On verra ça !… Nous allons rire !

Là-haut, dans la nuit sombre, la faible lumière s’arrêta, vacillante, puis se mit à errer de gauche et de droite, comme fourvoyée. La voix lointaine grommela de nouveau : « Pas bon… Pas bon… » Puis la lumière, un instant immobile, hésitante, obliqua soudain et repartit avec des sautillements alertes et décidés.

La pluie avait cessé, tout à coup. Le sentier, plus large et plus commode, à peine incliné, mettait sous les pas l’élastique douceur d’une couche épaisse d’aiguilles de sapin. Le vent n’était plus qu’une molle et suave caresse, passant à petits souffles égaux et purs comme la respiration d’un enfant endormi.

M. Brusy, le corps enfin redressé, ôta son chapeau, livrant à la bienfaisante fraîcheur de la