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par un beau dimanche

qui confondait la blancheur de ses reflets avec celle des chastes draperies flottantes, de l’onde bienfaisante et terrible qui venait de tuer la souffrance d’Ophélie en tuant Ophélie.

Marie se pencha plus fort, très fort, et demanda tout bas, au gouffre insondable, attirant et mystérieux :

— Ophélie, réponds-moi… Es-tu heureuse, maintenant ?

À plusieurs reprises, elle répéta, sur un rythme berceur, presque chantonnant :

— Heureuse… Heureuse… Être heureuse… Ne plus souffrir… n’importe comment…

Tout à coup, elle poussa un cri aigu, se rejeta en arrière, comme pour échapper à une étreinte invisible, se releva et se remit à courir sur la berge sombre.

Une carrière abandonnée déchirait en cet endroit la haute muraille de rochers. Par cette large échancrure, le clair de lune passait, baignant de sa lumière diffuse une petite prairie sur laquelle dansaient des vapeurs légères, comme si les âmes de toutes les fleurettes fanées en ce jour étaient montées au ciel, très doucement. En face, sur un lit de cailloux, la rivière coulait, rapide et bruyante, striée de longues traînées d’argent.

Marie se sentit baignée, jusqu’aux genoux, par la fraîcheur de l’herbe haute et tout humide encore. Penchée, elle se mit à cueillir des fleurs, tout en marchant, de larges marguerites dont les tiges humectaient et rafraîchissaient ses paumes brûlantes. Elle riait, d’un léger rire enfantin, quand elle pouvait arracher trois ou quatre grosses fleurs d’une seule poignée, se fâchait et grondait quand les marguerites devenaient plus petites ou plus rares.

Puis, la carrière passée, ce fut de nouveau l’ombre opaque et inquiétante, barrée de buis-