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tout englué de sauce grasse, s’étaler au milieu de la nappe blanche.

M. Vireux, bien entendu, ne rata pas une si belle occasion d’affirmer que cela n’arrivait qu’à lui, que jamais homme au monde n’avait eu un enfant aussi sale, aussi stupide, aussi maladroit que le sien. De sa voix forte et caverneuse, qui lui donnait toujours l’air de parler au fond d’un chaudron, il morigénait le pauvre petit, lui reprochant, outre sa maladresse présente, toutes ses maladresses passées : la tasse brisée le mois dernier, la pièce de deux sous perdue l’année précédente, le cheval mécanique duquel il était tombé à l’âge de trois ans, la rougeole qu’il avait eu la bêtise d’attraper à l’âge de six mois. Le tout entremêlé, comme il convient, d’épithètes injurieuses, humiliantes, de sinistres prédictions faisant entrevoir à Hippolyte, dans un prochain et inéluctable avenir, la maison de correction, puis le bagne, puis l’échafaud.

Le discours durait, durait, et l’enfant courbait la tête, rouge de honte, ravalant ses larmes. Cependant, Pas-Bon, accroupi dans son coin, juste derrière le jeune criminel, avait haussé le bras et pris sur la table le couteau d’Hippolyte. Puis, tirant de sa poche une pierre à aiguiser de faucheur, il se mit à repasser la lame épaisse avec une dextérité consommée.

L’oncle Brusy, qui suivait son manège, poussa Joséphine du coude en murmurant :

— Je crois que nous allons rire. Sa besogne achevée, l’idiot se leva, poussa le manche du couteau dans la main du pauvre petit garçon, grommela : « Bon… Bon… » puis replongea dans son coin. Et l’enfant, ayant repêché son bifteck sur la nappe, se mit à le couper le plus proprement du monde, juste au moment où son père répétait pour la dixième fois :