Marie, à la vérité, s’aperçut de la chose et désigna l’idiot à sa sœur d’un coup d’œil plein de commisération. Mais Hougnot, qui surveillait ses filles plus attentivement encore que d’habitude, les regarda avec un froncement de sourcils mécontent et réprobateur. Et l’oncle Brusy, qui n’avait rien perdu de la scène, n’osa pas, devant son terrible beau-frère, faire envoyer une assiette de soupe à celui qui avait eu, tout à l’heure, l’affreux égoïsme de garder pour lui la sixième partie de ses pommes de terre. La première fringale étant apaisée, la conversation reprit. Entendez par là que M. Vireux se remit à dénigrer la campagne et à se plaindre d’y être venu de son propre gré, que Hougnot lui donna la réplique avec l’ardente émulation d’un mauvais coucheur qui prétend marcher toujours à la tête de sa confrérie, et que le reste des convives acquiesça avec prudence, sachant bien qu’il n’y avait rien de mieux à faire.
Puis on se remit à manger, Mérance ayant apporté un plat de choses brunâtres qui eussent peut-être été de fort présentables biftecks si on les avait laissées au feu une demi-heure de moins.
Grave et silencieux, le jeune Hippolyte, armé d’un couteau dont le fil était à peu près aussi épais que le dos, s’évertuait à couper son morceau de viande sèche et filandreuse. N’y parvenant pas, malgré les plus louables efforts, il faisait semblant de manger, sa précoce expérience lui ayant démontré qu’en n’importe quel cas le mieux était de ne pas attirer l’attention sur lui. Puis, ayant mastiqué une bonne bouchée de néant, il se livrait à de nouvelles et vaines tentatives de découpage, appuyant sur le couteau et sur la fourchette de toute la force de ses petits bras. Il appuya si bien que la fourchette glissa tout à coup, envoyant l’invincible bifteck,