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par un beau dimanche

hâte et me risquai à travers le jardin, muni d’une lanterne, armé d’une trique, et regrettant une fois de plus le revolver que je me promets d’acheter depuis quelque vingt ans, mais que je n’achèterai sans doute jamais, en ayant toujours été empêché par une répugnance invincible pour les armes homicides. Derrière la grille, ma lanterne éclaira un groupe étrange : Pas-Bon, pâle et hagard, portant dans ses bras sa mère, plus pâle encore que lui, inerte et sans connaissance, Je les conduisis bien vite dans mon cabinet, et, tandis que ma vieille servante rallumait le feu, je diagnostiquai sans peine une pneumonie, parvenue à l’ultime période de l’hépatisation grise, ne permettant donc plus aucun espoir. Pourquoi Bas-Bon n’était-il pas venu me chercher plus tôt ? Il n’est point à même de l’expliquer, et nous n’en saurons jamais rien. Mais je suis fort enclin à croire que la mère, qui semblait faire bien peu de cas de la vie, aura interdit à son fils d’aller chercher du secours, tant qu’il lui sera resté la force d’imposer sa volonté. Car il lui obéissait avec une docilité absolue, et ces deux phénomènes semblaient se communiquer leurs moindres idées par je ne sais quel moyen mystérieux, sans avoir jamais besoin de se parler. Il y avait peut-être là un cas bien curieux à examiner, si la mère eût été un peu moins entêtée dans sa solitude. Après tout, si les hommes ont porté l’art de la parole à une remarquable perfection, cela ne prouve nullement que le système soit, en principe, le meilleur qui existe ici-bas, celui qui se prête, pour un lointain avenir, aux plus merveilleux perfectionnements. Nos ancêtres nous rendirent peut-être un bien mauvais service quand ils prirent l’habitude de communiquer entre eux par le langage des sons. Qui vous dit qu’ils ne possédaient pas un organe, ou un embryon d’organe, qui