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par un beau dimanche

ou méprise l’usage de la monnaie, — contre des corbeilles que sa mère lui apprit à tresser, ou contre des simples que je lui enseignai à cueillir. Il est du reste fort régulièrement volé, car il ignore le souci du lendemain, ne se préoccupe que de sa pitance quotidienne, et donne pour l’obtenir tout son travail ou toute sa récolte du jour, quelle qu’en soit la valeur. Je vous laisse à penser si nos villageois en abusent. Quand il a besoin de vêtements ou de chaussures, il descend au village, explique son cas par signes, puis montre ses bras. Il se trouve toujours quelque fermier pour lui proposer une besogne simple et rude, car on sait que l’affaire est avantageuse. Pas-Bon se met à l’ouvrage, s’y tient avec un zèle remarquable et fournit deux ou trois fois plus de travail qu’il ne devrait faire en bonne justice. Mais, le moment étant venu où il pense, d’après son estimation personnelle et toujours trop raisonnable, avoir mérité l’objet qu’il désire, il lâche soudain la besogne, qu’elle soit terminée ou non, entre dans la boutique de la mère Poilveau, décroche la blouse ou les souliers dont il a besoin, et s’en va tranquillement. Que celui qui l’employa paie ou non la mère Poilveau, c’est un souci qu’il ignore. Il a gagné sa blouse ou ses souliers, donc il a le droit de les prendre.

— Quelle brute ! dit Hougnot, qui s’était efforcé tout au long de sa vie de prendre ce qu’il n’avait pas gagné… Attention, Marie, il va te voler ta broche !

L’idiot, depuis quelques instants, regardait avec une singulière ardeur la broche de la jeune fille, vulgaire assemblage de morceaux de verre qui valait bien vingt sous, mais brillait à souhait dans la pénombre de la grotte. Son petit index brun pointé vers l’objet, il bégaya : « Bon… bon… » d’une voix si frémissante, si brûlante de désir, que Marie détacha aussitôt l’humble bijou