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par un beau dimanche

le menton trop court, les maxillaires étroits et grêles, donnaient à la face glabre du vieux docteur une expression de naïveté enfantine qui se changeait bien vite, devant un interlocuteur autoritaire ou madré, en un air d’inquiétude ahurie, voire d’imbécillité complète.

— Pour César ! monologuait le docteur indigné… C’était pour César, pour son cochon !… Vous me le payerez, mère Fahette, vous me le payerez !… Je ne suis pas vétérinaire, que je sache… Fichtre non, je ne suis pas vétérinaire !

Ses regards fixaient, obstinés, la vilaine cendrée noire épandue sur le quai, la rigide laideur des rails qui s’enfonçaient parallèlement dans la gueule sombre du tunnel. Et il sentait la tristesse et la rancune descendre et grandir en lui, peu à peu. Mais un chant d’oiseau, très joyeux et très doux, lui fit tourner la tête vers la vallée lumineuse et charmante, bleuie par les lointaines sapinières, dorée par les genêts en fleurs. Au bout de quelques secondes, ses sourcils froncés remontèrent lentement par-dessus les cercles d’or de ses lunettes, sa grosse bouche s’entr’ouvrit, en un bon sourire, pour aspirer l’air pur tout chargé de fraîches senteurs, et le docteur se déclara soudain à lui-même, sans le moindre entêtement :

— Après tout, les termes « docteur » et « vétérinaire » sont d’assez vaines subtilités… Le César de la mère Fahette est, ni plus ni moins, comme celui qui régna sur Rome et comme tous les vertébrés, un composé de quatorze corps simples : azote, carbone, hydrogène, oxygène, etc… J’ai soigné maintes fripouilles baptisées qui, selon moi, ne valaient pas cet animal domestique, et je crains bien d’avoir péché par orgueil en me scandalisant à propos d’une telle vétille… Demain, j’apporterai la bouteille moi-même, je demanderai à voir César et je le soignerai de mon mieux. Ce sera une bonne farce à faire à Mon-