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par un beau dimanche

sionnelle, M.  Brusy se laissa aller tout entier à ses remords, et s’invectiva avec une farouche ardeur :

— Imbécile ! Maladroit ! bougonnait-il en se frappant le crâne à coups de poing. Pourquoi te mêles-tu de rendre service, puisque tu es trop bête, trop irréfléchi, pour calculer la portée de tes actes ? Comment n’as-tu pas compris que, s’il se trouvait devant toi huit existences, dont une seule nuisible, ta pierre avait sept chances sur huit de commettre le mal au lieu de faire le bien ? Il est presque temps d’y songer, maintenant ! Pascal Brusy, tu ne seras jamais qu’un niais !

Sa coulpe dûment faite, les remords cessèrent de le tourmenter, et il en profita pour se chercher aussitôt des excuses, car un misanthrope est un homme, en fin de compte, c’est-à-dire un être qui ne peut vivre en gardant une mauvaise opinion de lui-même.

— Après tout, opina-t-il, l’intention était bonne, et je ne suis ni le premier, ni le dernier, à voir mes intentions trahies par le destin. Les fondateurs d’empires et de systèmes philosophiques seraient, pour la plupart, encore bien plus navrés que moi, s’ils revenaient contempler les conséquences de leur œuvre. Beaucoup, en cherchant le bonheur des hommes, les firent s’entretuer par milliers. Moi, tout de même, je n’ai occis qu’un méchant lapin, tandis qu’un idéaliste comme Jean-Jacques Rousseau…

Dans son immense besoin de se sentir pur et bon, innocent de toute faute, le docteur allait sans doute se démontrer à lui-même que si le lapin ne vivait plus, c’était la faute de Jean-Jacques, et non la sienne. Mais une main brutale et preste lui enleva soudain le petit cadavre qu’il n’avait pas lâché, tandis que la voix criarde de Walthère Hougnot glapissait, sur un ton joyeux :