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par un beau dimanche

éteints derrière lui, il sentit les arguments sans réplique se presser en foule dans sa cervelle et une verve intarissable desceller ses bonnes grosses lèvres. En moins de dix minutes, il démontra de façon irréfutable à la seule personne qu’il eût jamais pu convaincre, c’est-à-dire à lui-même, que couper un arbre sans raison est un crime tout aussi grand que d’assassiner un homme. Sur quoi, un peu enrayé par les conclusions excessives auxquelles aboutissait son fiévreux soliloque, il secoua la tête, se passa la main sur le front, jeta autour de lui des regards égarés et constata qu’il venait d’atteindre le pied des ruines.

Une petite clairière s’étalait entre les grands arbres jaillissant du ravin et le premier mur d’enceinte du vieux château-fort, entaillé çà et là par des brèches profondes. S’étant assis sur un gros bloc de pierre, dans l’ombre fraîche que projetait la muraille, le docteur souffla un instant, s’éventa avec le vieux chapeau de jardin dont il était maintenant coiffé, poussa un soupir de regret en songeant à son beau panama, puis repartit de plus belle à démontrer l’erreur où plongeait son beau-frère, tant que celui-ci n’était pas encore là.

Soudain, il s’appliqua une main sur la bouche, pour arrêter plus sûrement le monologue confus et précipité qui en sortait. À l’autre bout de la clairière, un gros lapin de garenne venait de sauter hors du bois, et, tapi dans l’herbe, concentrait toute son activité dans un inlassable et voluptueux frémissement de narines. Presque caché déjà par un buisson de genévrier, M. Brusy n’eut qu’à se courber un peu pour devenir tout à fait invisible. Car il adorait la vie dans toutes ses manifestations, et goûtait des jouissances infinies à suivre les allées et venues d’un insecte, ou les gambades d’un écureuil en liberté. Rete-