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en seuil, verser la joie ou l’héroïsme au cœur des citadins, moyennant une modeste rétribution facultative.

Aujourd’hui, Natole vient de finir sa tournée, et le voilà qui entre dans un petit café-logement, tenu par une dame originaire de Bergilers, d’où il résulte que l’établissement est surtout fréquenté par des ouvriers paveurs, et qu’on y débite le pèquet, non par verre, mais dans d’archaïques mesures d’étain.

Natole tire quatre grosses tartines doubles de la caisse de son instrument, commande un double décilitre et un quart de « remoudou », puis, après avoir humé une bonne gorgée pour déblayer le passage, commence à manger en trempant longuement son pain, bouchée par bouchée, dans le breuvage favori.

Gilles Trixhay est là, bien entendu, puisqu’on y boit plus économiquement qu’ailleurs. Natole et lui sont de vieux camarades, et le découpeur de bois demande affectueusement :

— Qué nouvelle, vieux strouk, ça va-t-i, l’ commerce ?

NATOLE. — Non, valet !… Ça pourrait aller s’on s’rait bien gouverné ; mais avec des lois si mal faites que les notes, c’est presque impossipe de gâgner sa vîye, dans un mètcher aussi difficile que l’ jouweur d’orque.

GILLES. — Difficile ? Là qu’ j’enrache ! Je pensais qu’ tout l’ monte le poulait faire, tchins moi !

NATOLE. — Awè !… Gn’a rien d’ plus difficile, te dis-che ! Tout l’ monte peut tourner une manuvelle, comme de jusse ; mais c’est l’ tour de main, paraît, qu’i faut attraper. Gn’a des ceux qui joûwent de l’èpaûle, des ceux qui joûwent du coûte… C’est pas possipe de faire de la bonne ouvrâche ainsi… Gn’a qu’avec le toûr de main qu’ tu peux mette le vrai sentument aussi bien sur une valse que sur la P’tite Tonkinoisse… Veux-tu que ch’ te dîsse le fin mot ? Et bin, i-gn-a qu’un vrai jouweur d’orque au monte… C’est moi !