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sur lesquels les badauds eux-mêmes règlent involontairement leur pas, tous quatre parviennent, par des prodiges d’attention et de volonté, à garder chacun une allure différente ; celui-ci avançant à tous petits pas pressés de demoiselle portant une robe entravée, celui-là faisant les immenses enjambées d’un géant ayant chaussé les bottes de sept lieues, les deux autres guettant chaque pas de leur voisin pour ne jamais avancer le pied en même temps que lui.

Placé en serre-file, un tout petit sergent, si petit qu’il serait logique de ne pas le faire figurer dans l’effectif, et de le compter comme une simple « rawète », s’égosille à crier d’une voix frêle :

— Au pas !… Gauche, droite… gauche, droite !… Au pas, vous dit-on… Au pas !

Les quatre hommes semblent frappés de surdité soudaine et accentuent encore l’étrangeté de leur allure. Le petit sergent se décide à frapper dans le dos de Crèton, comme il frapperait à une porte cochère. « Changez le pas ! » ordonne-t-il. Docile, Crèton feint de vouloir exécuter le petit entrechat qu’on lui enseigna jadis sous cette dénomination. Il ne réussit qu’à passer un croc-en-jambe à Bouyote, qui semble avoir reçu un boulet de canon dans le dos, tant il tombe avec énergie sur le rang qui précède.

Le petit sergent s’affole, s’exaspère. « Au pas !… Au pas ! » crie-t-il en tapant d’un poing rageur sur les quatre dos que secouent d’inexplicables convulsions. Toujours dociles, les quatre hommes se mettent à exécuter des changements de pas successifs, si nombreux qu’ils ont maintenant l’air de danser la polka, pour la plus grande joie des badauds. Le petit sergent voit rouge ; il songe à tirer sa baïonnette, pour en