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pour ce pauvre Franz Wevelghem, qui devait tant regretter, là-bas, la bonne bière et le délicieux genièvre du pays natal, et à qui il allait faire une si bonne surprise, en tombant chez lui à l’improviste. Il eût sans doute mieux aimé de la bière, de la vraie, ce pauvre exilé. Mais le faro et le lambic sont des boissons délicates, qui ne valent plus rien dès qu’elles ont été remuées ou échauffées. Franz le savait mieux que personne, le pauvre, et il n’était pas homme à commettre cette formidable hérésie : demander qu’on lui apportât de la bière.

Quand Jef arriva à la gare, le train de plaisir était déjà bondé, et notre homme eut grand’peine à trouver place. Rien que des gens du centre de la ville, bien entendu, des poseurs qui disent un hareng-saur en parlant d’un « boustrinck », et un fiacre pour désigner une « vigilante ». Jef se renfrogna dans son coin, sans essayer de lier conversation avec personne. Pour passer le temps, il commença de suite à manger les « pistolets » fourrés de jambon. Puis il se tourna les pouces. Puis il eut soif.

Cette constatation l’effraya, lui qui n’avait jamais eu soif de sa vie, lui qui avait toujours à portée de sa main la grande pompe en cuivre d’où coulait un si joli jet de bière fraîche et savoureuse. Il avait soif ! Et on était à peine parti, et il devait encore aller des heures comme ça ! Situation terrible et digne de pitié.

Jef lutta un grand quart d’heure. Puis, bien entendu, il fit cette réflexion : « Franz ne m’en voudra pas si l’une des bouteilles n’est pas tout à fait aussi pleine que l’autre. C’est un si bon camarade ! » Et, glissant sa main sous son gilet, il en tira un des flacons, le déboucha, et but à même une longue gorgée.

Quand le genièvre n’est pas très frais, il est moins bon, mais grise plus vite et ne désaltère guère. Au