Page:Ista - Contes & nouvelles, tome III, 1917.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
54

Tout le monde avait compris aussitôt de qui il voulait parler, et le sobriquet resta à Monsieur Boron sans qu’il s’en doutât jamais. Parfois, sur le chemin du bureau, il lui était bien arrivé de voir une pomme de terre gâtée rouler à ses côtés, d’entendre quelques voix enfantines crier derrière lui : « Pomme de terre ! Hou ! Hou ! Pomme de terre ! »

Mais les farces de gamins étaient rares, dans la morne petite ville aux rues calmes et désertes, et le fait n’avait pas été assez fréquent pour que Monsieur Boron, trouvant sa conduite trop naturelle pour prêter à raillerie, y vît autre chose que la plaisanterie inoffensive de galopins qui crient et lancent n’importe quoi au premier venu.

Et, tandis qu’au coin de la cheminée il épluchait lentement ses tubercules avec une minutieuse complaisance, il eût été bien étonné de savoir qu’on disait en même temps, dans quelques maisons de la ville, dans le petit café où les surnuméraires jouaient au billard :

— Il est cinq heures. Monsieur Boron épluche ses pommes de terre, et il vient de déclarer : « Ce qu’il y a de mieux, c’est un petit couteau de deux sous, bien aiguisé et bien pointu. »

* * *

Le dimanche amenait un peu de variété dans la vie de Monsieur et de Madame Boron. Levés tous deux à l’heure exacte où ils se réveillaient automatiquement, depuis que s’était brisé un réveille-matin qu’on avait jugé inutile de remplacer, ils revêtaient leurs habits de fête, depuis longtemps surannés, mais dont la forte odeur de naphtaline prouvait avec quel soin on les entretenait.